Usine Nouvelle, n°3282 p.52,
Le Juge commercial admet un enregistrement clandestin en appréciant la proportionnalité de l’atteinte éventuelle à certains principes fondamentaux. Jusqu’à quand ?
Par Philippe Dutilleul-Francoeur et David Forest
L’enjeu : Se constituer une preuve décisive dans un contentieux commercial.
La mise en œuvre : Évaluer la recevabilité de cette preuve et les risques d’atteintes aux droits de l’adversaire.
Dans la vie des affaires, la parole revêt souvent plus d’importance que l’écrit. Ainsi, un enregistrement réalisé à l'insu d’un interlocuteur peut servir de preuve décisive dans un contentieux. La liberté de la preuve en matière commerciale et l’absence de toute prohibition formelle par la loi semblent conforter ce constat. Un téléphone mobile doté d’une fonction d’enregistrement, négligemment posé sur la table de négociation, constitue une arme redoutable qui peut toutefois se retourner contre celui qui s’en sert. Car il faut garder à l’esprit que ce mode de preuve est déloyal et susceptible de heurter des principes fondamentaux comme le droit au respect de la vie privée ou le secret professionnel, protégés par le Code pénal. La jurisprudence se livre à une mise en balance délicate des intérêts en présence.
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui ne condamne pas de manière générale ce mode de preuve, exerce son contrôle sur le respect des droits de la défense et notamment sur le respect du principe d’« égalité des armes ». Celui-ci implique que les parties à un procès disposent des mêmes droits. La CEDH s’assure que la partie adverse a bien été en mesure de combattre les enregistrements, notamment d’en contester l'authenticité (Schenck c. Suisse, 1er juil.. 1998). C’est aux États membres de l’Union européenne qu’il revient de déterminer si l’enregistrement clandestin est admis à titre de preuve.
La chambre commerciale de la Cour de cassation qui le refusait jusqu’en 2003, a assoupli sa jurisprudence au profit d’un certain pragmatisme. Selon, la haute juridiction, interdire la preuve d’un élément de fait essentiel au succès d’une cause porte atteinte au principe d'égalité des armes. Dès lors, le juge se livre à un contrôle de proportionnalité entre les intérêts antagonistes. Si l’atteinte à la vie privée est justifiée par d’autres intérêts parmi lesquels les droits de la défense, elle doit rester proportionnée (Cass. com., 15 mai 2007). La Cour a encore jugé que la divulgation dans un procès civil d'informations couvertes par le secret de l’instruction devant le Conseil de la concurrence n'est justifiée que par l’exercice des droits de la défense (Cass. Com., 19 janv. 2010).
Toutefois, la Cour de cassation a récemment estimé dans sa formation la plus solennelle à propos d’un litige relevant du domaine de l’Autorité de la concurrence, que l’admission d’un enregistrement recueilli dans des conditions contestées constituait une atteinte à la vie privée autant qu’au principe du procès équitable (Cass, Ass. Plén., 7 janv. 2011). Cette solution annonce-t-elle l’abandon du pragmatisme de la Cour de cassation ou se limite-t-elle aux litiges relevant de la compétence de l’Autorité de la concurrence ?
Dans l’incertitude, le recours à un enregistrement clandestin requiert la plus grande prudence et une évaluation préalable des risques qu’il fait encourir à celui qui s’en prévaut à l’occasion d’un contentieux commercial.
Dutilleul-Francoeur Avocats
Tel : 01 40 67 91 66
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