La Cour de cassation a rendu un arrêt particulièrement intéressant concernant le droit du marché de l'art le 22 mars 2012.
Selon la Haute juridiction, la remise d’œuvres d’art par leur auteur à un galiériste en vue de leur commercialisation établit la détention précaire de celles-ci. Sauf interversion de titre, les héritiers de ce dernier ne peuvent en acquérir la propriété par la possession.
Les héritiers d’un artiste peintre renommé avaient intenté une action en revendication de la propriété de quatorze œuvres à l’encontre des héritiers du galiériste qui avait reçu mandat de les vendre par leur auteur. Devant les juges du fond, ces derniers avaient tenté de faire échec à cette demande en invoquant la possession de ces œuvres ainsi que l’effet acquisitif qu’elle emportait, mais cette argumentation ne s’était pas révélée convaincante. La cour d’appel de Paris avait en effet considéré qu’il ressortait des éléments de preuve souverainement appréciés que les œuvres avaient été seulement prêtées à la galerie en vue de leurs commercialisations. Elle en avait alors déduit que la possession de ces dernières était manifestement précaire, de sorte qu’en l’absence d’interversion de titre, les héritiers du possesseur ne pouvaient arguer d’un quelconque effet acquisitif de la possession. En conséquence, la cour d’appel les avait condamnés à remettre aux héritiers de l’artiste sept de ces œuvres, estimant que pour quatre d’entre elles la preuve de la détention n’était pas rapportée. Elle avait en outre ordonné la réouverture des débats pour les trois dernières. Ces derniers avaient alors saisi la Cour de cassation en arguant notamment qu’en vertu de l’article 2276 du code civil, qui édicte une présomption de propriété en faveur du possesseur, c’est aux demandeurs de l’action en revendication qu’il revenait la charge de prouver la précarité de la détention. Par le présent arrêt, la Cour de cassation rejette le pourvoi ainsi formé et valide le raisonnement des juges du fond.
L’intérêt de cette décision ne porte pas sur la fonction probatoire de la possession mobilière.
La Cour de cassation a déjà jugé que la présomption qui résulte de l’article 2276 du code civil, implique que le demandeur en revendication qui prétend avoir remis à titre précaire les meubles au défendeur, apporte la preuve de la précarité de la possession, de sorte que, dans le cas contraire, ce dernier a titre pour les conserver (Civ. 1re, 7 févr. 1962, Bull. civ. I, n° 91 ; 20 oct. 1982, Bull. civ. I, n° 298 ; RTD civ. 1983. 559, obs. C. Giverdon). Cet arrêt est davantage l’occasion pour la cour régulatrice de rappeler qu’il est nécessaire pour que la règle en vertu de laquelle « en fait de meuble possession vaut titre » produise son plein effet, que la possession présente certains caractères. Ainsi, seule une possession dénuée de vice confère au possesseur un titre susceptible de faire échec à une action en revendication (Com. 11 mai 1993, Bull. civ. IV, n° 184 ; D. 1993. IR 145). En l’occurrence, c’est plus particulièrement du vice d’équivoque dont il était question. Une possession est équivoque dès lors que les actes du possesseur ne traduisent pas son intention de se comporter en propriétaire (Civ. 1re, 13 juin 1963, Bull. civ. I, n° 317).
Il s’agit donc d’un vice, souverainement apprécié par les juges du fond (Civ. 3e, 19 juin 1973, Bull. civ. III, n° 426), qui affecte un élément essentiel de la possession, à savoir l’animus domini. Or, un possesseur qui détient un bien dans des conditions excluant l’animus domini n’est qu’un simple détenteur précaire (Civ. 1re, 10 juin 1986, D. 1988. Somm. 14, obs. Robert) et ne peut par conséquent bénéficier des dispositions de l’article 2276 du code civil.
L’arrêt annoté rappelle également que seule une interversion de titre aurait pu permettre au détenteur des œuvres d’art de conserver la propriété des biens litigieux. Cette hypothèse vise le cas dans lequel un détenteur précaire acquiert de bonne foi par vente, échange, donation ou legs, un titre qui lui aurait transféré la propriété s’il provenait du véritable propriétaire (V. Rép. civ., v° Possession, n° 26, par Djoudi). Elle permet ainsi au détenteur d’établir l’animus qui lui manquait jusqu’alors pour parfaire sa possession.
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