
Tout le monde a entendu parler du peer-to-peer ou P2P qui est un système sur Internet permettant de partager et d’échanger des fichiers. Le peer2peer connaît un développement exponentiel sur le net car il permet de télécharger des vidéos, musiques, logiciels, jeux, etc…
Le P2P permet également de regarder ou d’écouter en flux continu (streaming) des vidéos ou de la musique. Le partage ou les échanges d’œuvres protégées se font le plus souvent gratuitement et ce au détriment de leurs auteurs. Cette situation est malheureusement très répandue et le droit d’auteur des créateurs et des artistes est quotidiennement violé.
L’une des questions qui se pose alors est de savoir si le juge national peut ordonner le blocage ou le filtrage des contenus illicites d'un site peer-to-peer qui ne respecteraient pas le droit d’auteur ?
Dans un arrêt du 24 novembre 2011 (SABAM c/ SCARLET, affaire C-70/10), la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) apporte une réponse négative à cette question.
En l’espèce une société belge spécialisée dans la représentation des auteurs et la gestion de leurs droit a constaté qu’un fournisseur d’accès à Internet propose à ses clients au moyen d’un réseau peer-to-peer d’échanger, de télécharger et de partager des fichiers sans payer de droits d’auteurs. Le président du tribunal de première instance de Bruxelles a condamné la société peer-to-peer à mettre fin aux atteintes au droit d’auteur en bloquant le système d’envoi et de réception illicite de la plate-forme de peer-to-peer sous peine d’astreinte.
Cette dernière a interjetté appel en invoquant non seulement, les nombreux obstacles pratiques à la mise en place d’un tel dispositif, mais encore la non-conformité de ce système avec l’article 15 de la directive 2000/31 en ce qu’elle impose une obligation générale de surveillance ce qui porte atteinte à la protection des données à caractère personnel et au secret des communications dans la mesure ou le contrôle implique d’enregistrer les adresses IP qui sont des données personnelles.
La Cour d’appel a alors saisi la CJUE d’une question préjudicielle afin de s’assurer de la conformité du système de filtrage des fichiers peer-to-peer avec le droit de l’Union.
En faveur d’une telle solution, l’on peut faire valoir que la propriété intellectuelle figure parmi les droits consacrés de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à l’article 17 paragraphe 2. Tirant la conséquence de ce principe, les directives 2001/29 (article 8) et 2004/48 (article 11) autorisent les titulaires de droits de propriété intellectuels à saisir le Président du Tribunal afin d’obtenir une ordonnance sur requête à l’encontre des intermédiaires, tels les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), dont les services sont utilisés par des tiers.
La CJUE admet alors que le juge national peut enjoindre les intermédiaires à mettre fin aux atteintes déjà portées aux droits de propriété intellectuelle, mais aussi de prévenir de nouvelles atteintes (cf arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a, C-324/09). Il revient alors au droit national de définir les modalités des injonctions.
Cependant, le droit de propriété intellectuellel n’est pas érigé en un droit absolu, et la CJUE considère que sa protection doit être mise en balance avec celle des autres droits fondamentaux (CJUE 28 janvier 2008, Promusicae, C-275/06, Rec. P.I-271), tels la protection la liberté d’entreprise dont bénéficient notamment les fournisseur d’accès Internet, (article 16 de la charte), la protection des données à caractère personnel (article 8), et la liberté de recevoir et de communiquer des informations (article 11).
Il en résulte donc que les règles nationales ne sauraient admettre qu’un fournisseur d’accès à Internet soit contraint à procéder à une surveillance générale des informations qu’il transmet sur son réseau et ce afin de faire cesser et prévenir des atteintes au droit de la propriété intellectuelle (cf article 15 de la directive 2000/31).
La CJUE estime en outre qu’une telle mesure serait inéquitable, disproportionnée et excessivement coûteuse et dès lors incompatible avec l’article 3 de la directive 2004/48 (arrêt L’Oréal, précité).
En l’espèce, la Cour constate qu’un système de filtrage de contenus porterait atteinte à la liberté d’entreprendre du fournisseur d’accès Internet car il supposerait la mise en place d’un système couteux, complexe et permanent afin de prévenir toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle.
Par ailleurs, un système de filtrage porterait atteinte aux droits fondamentaux des clients d’un fournisseur d’accès à Internet, et plus précisément à leur droit à la protection aux données à caractère personnel. En effet, ce dernier serait contraint de se livrer à une observation active et illimitée dans le temps de la totalité des échanges électroniques ainsi que de l’ensemble des données personnelles de ses clients afin de prévenir toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle, notamment les adresses IP des utilisateurs qui échangent des contenus illicites. Or ces adresses permettent l’identification des utilisateurs et sont donc des données personnelles.
En ce qui concerne l’atteinte à la liberté d’information, la Cour relève qu’un tel système risque d’entraîner le blocage des contenus licites dans la mesure où celui-ci pourrait ne pas distinguer précisément un contenu licite d’un contenu illicite. En effet, certaines œuvres peuvent relever du domaine public, bénéficier d’une exception légale qui varie d’un état à l’autre ou encore être mises en ligne gratuitement.
La CJUE considère donc qu’une injonction nationale imposant système de filtrage imposé à un réseau peer-to-peer est contraire au droit de l’Union en ce « ne respecterait pas l’exigence d’un juste équilibre entre le droit de propriété intellectuelle, d’une part, et la liberté d’entreprise, le droit à la protection des données personnelles et la liberté de recevoir et de communiquer des informations d’autre part ».
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