
Com. 12 février 2013, pourvoi n°12-13603, à paraître au Bulletin
« attendu que l’état de dépendance économique se définit comme l’impossibilité, pour une entreprise, de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a nouées avec une autre entreprise ; qu’après avoir relevé que, même si la société DHL est leader dans le domaine des transports et du fret, sa part de marché dans les Côtes d’Armor et le Morbihan n’est pas dominante, de nombreux concurrents exerçant une activité similaire dans la région et le recours à la sous-traitance s’expliquant essentiellement par le fait qu’elle n’y dispose pas d’une implantation commerciale forte, l’arrêt retient que la société EAS fret, qui avait déjà d’autres clients, pouvait encore élargir sa clientèle, aucune clause d’exclusivité ne l’en empêchant ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir l’absence d’obstacle juridique ou factuel à la faculté de diversification de la société EAS fret, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les première et troisième branches, la cour d’appel a pu retenir que cette société n’était pas en situation dedépendance économique à l’égard de la société DHL et a ainsi justifié sa décision ».
Une société spécialisée dans le ramassage, le transport et la livraison de colis et de documents, avait conclu un contrat avec la société DHL express France (ci-après, la société DHL) dans la région des Côtes d’Armor, en vue de sous-traiter les missions qui lui étaient imparties. Mise en redressement judiciaire et bénéficiant d’un plan de continuation elle s’est vue notifiée quelques années plus tard par la société DHL la rupture de leurs relations contractuelles avec un préavis de trois mois, à la suite de quoi le plan de continuation a été résolu et la société, mise en liquidation judiciaire. Estimant que la liquidation était imputable à la société DHL, le liquidateur et le gérant de la société ont assigné cette dernière en paiement de dommages-intérêts, notamment pour abus de dépendance économique. Les juges du fond ne font pas droit à la demande, estimant que l’état de dépendance économique n’était pas constitué. Définissant l’état de dépendance économique « comme l’impossibilité, pour une entreprise, de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a nouées avec une autre entreprise », la Cour de cassation estime que la cour d’appel a fait « ressortir l’absence d’obstacle juridique ou factuel à la faculté de diversification de la société » a ainsi pu retenir l’absence de dépendance économique.
Une entreprise en état de dépendance économique étant une entreprise vulnérable, elle mérite d’être protégée. En ce sens, l’article L. 420-2 al. 2 du Code de commerce prohibe « dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées au I de l'article L. 442-6 ou en accords de gamme ».
Il reste que cette pratique anticoncurrentielle n’est presque jamais retenu en pratique (V. toutefois, Com. 25 janvier 2000, pourvoi n°97-20199. Adde Cons . Conc., déc. n°96-D-44 du 18 juin 1996, relative à des pratiques relevées dans le secteur de la publicité ; Aut. Conc., déc. n°11-D-20 du 16 décembre 2011, relative à des pratiques mises en œuvre par Carrefour dans le secteur de la distribution alimentaire, mais il s’agit d’une décision d’engagements), pour deux raisons.
En premier lieu, l’état de dépendance économique est si strictement défini qu’il est difficile à caractériser. La Cour de cassation, dans l’arrêt commenté, définit l’état de dépendance« comme l’impossibilité, pour une entreprise, de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a nouées avec une autre entreprise » (V. déjà, Com. 3 mars 2004, Bull. civ. IV, n° 44 qui vise « la situation d'une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou à ses fournisseurs un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d'approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables »).
En second lieu, l’abus de dépendance économique, en tant que pratique anticoncurrentielle, ne sera caractérisé que si en découle une atteinte au bon fonctionnement du marché. Maisalors qu’auparavant la loi NRE du 15 mai 2001, la pratique devait « pour objet ou (…) pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché », il suffit désormais qu’elle soit « susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence ».
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