Article paru dans le Figaro par François Duret-Robert
Le verdict des catalogues raisonnés dénoncé
Des oeuvres toujours au purgatoire
Les propriétaires de toiles contestées par ces « bibles » de l’art se rebiffent. Deux procès exemplaires.
C’est un fait : si une peinture est exclue du catalogue raisonné consacré à l’oeuvre de l’artiste concerné, elle devient invendable. On mesure ainsi le pouvoir dont disposent les auteurs de ces ouvrages. Et l’on comprend le courroux des propriétaires des toiles bannies. D’où les tentatives actuellement faites par certains collectionneurs pour obliger, de force si l’on peut dire, deux de ces auteurs à inclure des oeuvres dans leurs catalogues respectifs tentatives qui se concrétisent par des actions en justice.
Dans la première affaire, il s’agit d’une peinture de Kees Van Dongen, La Chemise. Cette oeuvre a été acquise en 1987, pour 2 204 000 F, par M. Philippe Dumenil dans une vente dirigée par Mes Ader, Picard et Tajan. Elle était accompagnée d’un certificat d’authenticité rédigé par Paul Petridès (1).
Quelques années plus tard, exactement en 1995, M. Philippe Dumenil voulut se séparer de sa toile ; il s’adressa à Christie’s qui accepta « d’inclure cette oeuvre de grande qualité dans la vente des tableaux impressionnistes et modernes au mois de juin 1995 », l’estimation se situant entre 200 000 £ et 300 000 £ (lettre du 17 janvier 1995). Mais deux mois et demi plus tard, Christie’s faisait machine arrière et justifiait ainsi sa volte-face : « J’ai le regret de vous informer que le tableau de Kees Van Dongen La Chemise ne sera pas inclus dans le catalogue raisonné actuellement en préparation par l’Institut Wildenstein. Dans ces circonstances, il ne nous est pas possible de présenter cette oeuvre dans la vente de tableaux impressionnistes et modernes du 26 juin prochain à Londres, car même dans l’hypothèse où Christie’s prendrait la décision de passer outre à cet avis, le futur acheteur de ce tableau nous demanderait immédiatement l’annulation de la vente. » (Lettre du 4 avril 1995.) Bref, M. Philippe Dumenil ne pouvait plus vendre son tableau. Il demanda donc au tribunal de Paris de nommer des experts. Le juge désigna MM. Guy-Patrice Dauberville et Philippe Maréchaux. Et dans leur rapport remis en septembre 1997, ceux-ci conclurent à l’authenticité du tableau : « Nous affirmons que la toile qui nous a été soumise est une oeuvre authentique de Kees Van Dongen qui l’a signée. »
Authenticité
Aussi M. Philippe Dumenil a-t-il assigné le Wildenstein Institute (qui n’avait pas contesté cette expertise), lui reprochant son refus de faire figurer son tableau dans le catalogue raisonné (2). Le tribunal de Paris (3) vient de le débouter ; les juges ont en effet souligné que ce catalogue ne pouvait porter préjudice à M. Ph. Dumenil pour la bonne raison qu’il n’était pas encore paru... Mais ce qui paraît intéressant, ce sont ces quelques lignes du jugement : « Le Wildenstein Institute ne pourra à l’avenir, en l’absence d’éléments nouveaux déterminants, s’opposer à la présentation de la toile La Chemise dans la mesure où son authenticité aura été constatée après une expertise judiciaire qu’il n’a pas contestée (...). Toute exclusion ne serait pas conforme à sa prétention de définir le catalogue raisonné comme étant la description de l’oeuvre complète d’un artiste ; quelle que soit la liberté d’un auteur de présenter dans un ouvrage, selon ses vues, les oeuvres d’un artiste, il répond cependant de ses fautes dans l’exercice de sa mission s’il peut être établi que son choix d’exclure telle ou telle oeuvre résulte d’une négligence grave, voire intentionnelle, au mépris d’opinions émanant de personnes qualifiées et reconnues, au point de fournir dans son ouvrage une information non seulement partielle mais aussi partiale... »
Autant dire que les auteurs des catalogues raisonnés sont désormais en liberté surveillée. Forts de ce jugement, les acheteurs d’un Modigliani contesté, conseillés par Me Dutilleul-Francoeur, ont entrepris une démarche analogue dans une intention identique. L’oeuvre en question, un dessin au lavis et à l’encre de Chine, intitulé Portrait de jeune fille, a été adjugée le 20 mars 1991 par Me Cornette de Saint-Cyr pour 1 730 000 F (M. Marumo étant l’expert de la vente). Or, en mars 1998, le Wildenstein Institute a fait savoir aux adjudicataires qu’il mettait en doute l’authenticité de ce dessin. Et il a ajouté : « Nous vous informons qu’après étude et en l’état actuel de nos connaissances, nous n’avons pas l’intention à ce jour d’inclure l’oeuvre (en question) dans le catalogue raisonné de l’oeuvre peint et dessiné de Modigliani. » (4). Me Dutilleul-Francoeur a donc demandé en référé la nomination d’un expert et il a notamment assigné le Wildenstein Institute pour que celui-ci participe à cette expertise. C’est M. Guy-Patrice Dauberville qui a été désigné par le président du tribunal de Paris (5) « pour donner son avis sur le caractère authentique du Portrait de jeune fille. Il doit remettre son rapport dans trois mois.
Affaire à suivre...