Article paru dans le Figaro par François Duret-Robert
EXPERTISE Les auteurs d’un catalogue raisonné peuvent-ils refuser des oeuvres jugées authentiques ?
Wildenstein au coeur de la polémique
Les Wildenstein sont victimes de leur prestige. Ils ont beau faire, ils ont beau dire, dès qu’ils froncent les sourcils devant un Fragonard ou un Monet, celui-ci devient suspect aux yeux des amateurs. Les Wildenstein sont victimes de leur prestige. Ils ont beau faire, ils ont beau dire, dès qu’ils froncent les sourcils devant un Fragonard ou un Monet, celui-ci devient suspect aux yeux des amateurs.
Bien entendu, leurs opinions ou celles qu’on leur prête prennent un poids encore plus redoutable lorsqu’elles figurent, noir sur blanc, dans des ouvrages scientifiques. Et notamment dans les catalogues raisonnés que le Wildenstein Institute consacre à l’oeuvre des meilleurs peintres, anciens ou modernes. Les tableaux qui sont bannis de ces livres, ou qui y figurent mais marqués du sceau de l’inauthenticité, deviennent invendables. D’où le courroux de leurs propriétaires. Dernièrement plusieurs d’entre eux ont exhalé leur amertume devant la justice (1). Dans les deux affaires d’actualité, les oeuvres contestées sont des dessins de Modigliani qui ont été acquis aux enchères, l’un dans une vente dirigée le 19 juin 1985, par Me Ader, Picard et Tajan (prix d’adjudication : 379 000 F), l’autre dans une vente organisée le 20 mars 1991, par Me Cornette de Saint-Cyr (prix d’adjudication : 1 737 000 F).
Dans les deux cas, les nouveaux propriétaires se sont empressés de soumettre ces dessins au Wildenstein Institute qui prépare l’édition du catalogue raisonné de l’oeuvre du maître (auteur : Marc Restellini).
Et dans les deux cas ils ont reçu la réponse suivante : « Nous vous informons qu’après étude et en état actuel de nos connaissances, nous n’avons pas l’intention, à ce jour, d’inclure l’oeuvre (en question) dans le catalogue de l’oeuvre peint et dessiné d’Amedeo Modigliani. » Ils ont alors saisi le tribunal de Paris (2) pour qu’une expertise soit ordonnée, que le Wildenstein Institute y soit associé et que les conclusions de celle-ci lui soient opposables. Ils ont obtenu gain de cause. En vain le Wildenstein Institute a-t-il déclaré qu’il n’était pas l’auteur de ce livre, mais simplement son éditeur ; que la réponse adressée aux intéressés était accompagnée d’une mention précisant que « cet avis ne peut en aucun cas être interprété comme une appréciation portant sur l’authenticité (de l’oeuvre en question) » ; que l’auteur pourrait être amené « par une révélation future » à changer d’avis avant la publication du catalogue ; et (ce qui est plus surprenant) que l’ouvrage sur Modigliani « à éditer par le Wildenstein Institute ne se prononcera pas sur l’authenticité ou non des oeuvres qui y seront portées... » (3).
Mais les juges ont, comme le souligne Me Dutilleul-Francoeur, considéré que les Wildenstein étaient beaucoup trop modestes... Ils ont estimé, d’une part, que « le Wildenstein Institute ne pouvait nier toute intervention de sa part dans la préparation du catalogue » et, d’autre part, que la réponse adressée aux propriétaires des dessins donnés à Modigliani « pouvait être interprétée (par ceux-ci) comme suggérant l’existence d’un doute sur l’origine du tableau... ». Puis ils ont rappelé le principe énoncé, à plusieurs reprises, en des termes voisins, par la jurisprudence : « Le droit reconnu à l’éditeur et à l’auteur d’un catalogue raisonné de présenter librement les oeuvres d’un artiste n’exclut pas qu’une action en responsabilité puisse être exercée, notamment en cas de négligence grave, dans le choix ou l’analyse des oeuvres publiées... »
Il est certain que l’influence écrasante que possède (indirectement) le Wildenstein Institute sur le marché de l’art, n’est pas sans poser quelques problèmes. De là à accuser ses dirigeants des plus sombres intentions, il n’y a qu’un pas. Un pas que certains professionnels n’ont pas hésité à franchir.
A preuve cette déclaration incendiaire de M. Gilbert Petridès, expert et marchand de tableaux, à propos d’une peinture de Vlaminck, rejetée par la Wildenstein Institute : « Le comité Wildenstein n’a aucune connaissance dans l’oeuvre de Vlaminck et aucune compétence en matière d’expertise d’oeuvres d’art. Le fait qu’il rédige le catalogue raisonné de cet artiste n’est pas une preuve de sa compétence en matière d’authentification de ses tableaux mais un moyen de contrôler une part importante du marché de l’art. Il a intérêt à en éliminer les oeuvres médiocres, ce qui est le cas du tableau litigieux, pour faire monter la cote du peintre... » (4). Il va sans dire que nous ne reprendrons pas à notre compte de tels propos.
(1) L’un de ces litiges portait sur une oeuvre de Van Dongen (voir nos éditions du 15 octobre 1999).
(2) TGI, Paris, ord. référé, 14 sept. 1999 confirm. par cour d’appel, Paris, 14e ch., sect. A, 19 avril 2000 ; TGI, Paris, 1e ch., 2e sect., 17 février 2000.
(3) Ces arguments sont tirés des conclusions de Me Ana Atallah pour l’association Wildenstein Institute, cour d’appel, Paris, audience du 7 mars 2000.
(4) TGI, Tarascon, 10 décembre 1999.