
Article paru dans le Figaro par François Duret-Robert
Il n’est pas toujours opportun de paraître savant. Car il arrive que les juges se montrent particulièrement sévères à l’égard de ceux qui savent ou qui, du moins, sont censés savoir.
C’est ainsi que la cour d’appel de Versailles (1) vient de refuser l’annulation, pour erreur, d’une prétendue peinture de Vlaminck qui s’était révélée fausse car celui qui demandait cette annulation était expert en tableaux modernes et avait participé à des ventes où figuraient des... Vlaminck. Les juges ont considéré que, de ce fait, son erreur était inexcusable. Voici exactement ce qui s’est passé. Le 15 février 1996, Raoul Laurent fit l’acquisition, pour le compte de la société Montjoie Art Transactions (MAT) dont il est le gérant, d’une toile de Vlaminck intitulée Paysage à la rivière. Une excellente affaire car le prix demandé par le vendeur, Marie-Paule Hallouin, était plus que raisonnable pour une oeuvre de cet artiste, antérieure à 1920 : 300 000 francs.
La société MAT avait d’ailleurs effectué cet achat en compte-à-demi, comme disent les professionnels, c’est-à-dire « moitié-moitié » avec la célèbre galerie Charles et André Bailly. L’authenticité de cette oeuvre ne semblait pas pouvoir être mise en doute puisque, quelques années auparavant exactement le 25 novembre 1991 , elle aurait dû affronter le feu des enchères, à l’Hôtel Drouot, avec la bénédiction d’un expert connu. Hélas ! les choses se gâtèrent lorsque les nouveaux propriétaires du tableau demandèrent son avis au Comité Vlaminck qui prépare le catalogue raisonné de Vlaminck, leur fit savoir qu’il n’avait pas l’intention d’inclure cette peinture, ce qui laissait penser qu’il avait quelques doutes sur l’authenticité de celle-ci. Le paysage devenait invendable. La société MAT et la galerie Bailly saisirent donc la justice afin d’obtenir l’annulation de la vente. On sait, en effet, que lorsqu’un acheteur a acquis une oeuvre qui, par la suite, se révèle ne pas être authentique, la meilleure façon qu’il a de se sortir de ce mauvais pas est de demander aux juges de prononcer la nullité de la vente pour erreur « sur la substance » (2), ce qui lui permet, en cas de dénouement favorable, de récupérer sa mise. Et ces messieurs peuvent accéder à sa demande s’ils reconnaissent qu’il a bien commis une erreur et que cette erreur est excusable. C’est justement cette seconde condition qui, en l’occurrence, a posé problème. Car, pour ce qui est de l’existence de l’erreur sur la substance, la question a été facilement réglée. Un expert judiciaire a été désigné en la personne de Patrick Imbard et celui-ci a déposé son rapport le 21 juillet 1997, rapport dans lequel il concluait que la peinture en question n’était pas de la main de Vlaminck. En revanche, le caractère excusable de l’erreur n’a pas paru évident aux juges. Ils ont souligné que la société MAT avait pour activité déclarée « l’estimation et l’expertise » des tableaux et que son gérant, Raoul Laurent, « s’est présenté comme expert, ou est intervenu aux côtés d’experts lors de la vente (...) de tableaux modernes (...), notamment d’oeuvres de Vlaminck ». Ils ont donc considéré que « l’erreur commise par les sociétés MAT et Bailly était inexcusable », et ils les ont déboutées de leur demande d’annulation de la vente. D’où la conclusion de l’avocat Michel Dutilleul-Francoeur, qui plaidait dans cette affaire : « Cet arrêt est intéressant dans la mesure où il réduit de manière sensible le champ d’application des demandes de nullité de vente pour erreur sur la substance lorsque l’on a affaire à un acheteur professionnel. »
(1) Cour d’appel de Versailles, 3e chambre, 14 septembre 2001 (2) On admet qu’une erreur sur l’authenticité est une erreur sur la « substance » d’un tableau.